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De la déficience visuelle à l'escrime

16 Novembre 2016

Retraitée, je suis en train de perdre la vue. L'escrime m'aide à m'adapter à ce handicap Publié le 05-09-2016 à 17h46 - Modifié le 06-09-2016 à 16h12 Par Christiane Barry Retraitée

Jeune retraitée de 64 ans, Christiane Barry perd peu à peu la vue. Lors d'un stage de rééducation visuelle, réalisé il y a trois ans, elle a découvert l'escrime, un sport qu'elle continue de pratiquer malgré l'évolution de son handicap, avec d'autres malvoyants ou non-voyants. Une pratique sportive qui l'aide à s'adapter à l'évolution de son champ de vision. Témoignage.

C'est un combat perdu d'avance. Atteinte d'un glaucome à un oeil, et d'une

dégénérescence à l'autre oeil, je suis en train de perdre peu à peu la vue.

Depuis 2010, celle-ci ne cesse de baisser, à tel point que je ne peux plus lire

et que je dois me déplacer avec une canne; le processus est malheureusement

inéluctable

La canne avec laquelle je me déplace est pour le moment jaune, et non blanche. Car je suis malvoyante, et non non-voyante. J'ai encore quelques repères, même si l'un de mes deux yeux ne fonctionne plus du tout, et que l'autre dysfonctionne sérieusement. En un mot, mon champ de vision est une sorte de gruyère…

 Une rééducation visuelle par le sport

 Comme vous pouvez l'imaginer, ce type de complications a forcément bouleversé mon quotidien. Il a fallu réapprendre à exécuter les gestes de tous les jours, même les plus simples. Pour ce faire, il y a trois ans, j'ai d'ailleurs suivi un stage de rééducation visuelle de 4 mois.

 En quoi ce stage consiste-t-il ? En une multitude d'activités et de petits exercices d'orthoptie (lecture rapide, reconnaissance visuelle…). L'objectif ? Nous permettre d'optimiser le peu de potentiel visuel qu'il nous reste, nous apprendre à se déplacer, à bouger, afin que la perte progressive de la vue ne nous contraigne pas à l'inactivité.

 Mais pendant ce stage, je ne me suis pas contentée d'apprendre à me déplacer avec une canne. Je me suis aussi mise au sport, encouragée par l'encadrement médical. C'est là que j'ai découvert l'escrime, un sport que je n'avais jamais pratiqué avant. Et que je n'ai plus lâché depuis.

 Médecin pendant des années, honnêtement, je n'ai jamais vraiment pratiqué de sport, par manque de temps essentiellement. La retraite, puis la maladie, ont donc paradoxalement changé la donne…

 Bandeau noir sur les yeux, arme à la main

 Pratiquer l'escrime alors que je vois de plus en plus mal, vous devez sans doute penser que j'aurais pu trouver mieux, comme sport. Au contraire ! Je combats face à des non-voyants, comme moi, et des aveugles, et cette pratique sportive m‘aide à m'adapter à ce handicap que je découvre.

 Pour être sur un pied d'égalité avec mes adversaires mal-voyants, je joue avec un bandeau noir sur les yeux. Je ne vois donc strictement rien. Chaque assaut commence par une prise fer, un contact de lame entre les épées des deux escrimeurs pour donner un premier repère spatial. Après, on se débrouille tout seul.

 Par souci de simplification, on ne pratique qu'une seule arme, l'épée, puisqu'elle permet de toucher toutes les zones du corps, là où en fleuret et en sabre, seules certaines zones du corps doivent être visées. Ce serait vraiment trop compliqué.

 Alors oui, il peut arriver, surtout les premières fois, qu'on se croise sans s'en rendre compte sur la piste, et que l'on se retrouve dos-à-dos. Mais la majorité des combats sont âprement disputés et constituent pour moi au final un extraordinaire moyen d'apprendre à vivre avec ce handicap.

 L'escrime me fait un bien fou

 L'escrime est un sport de combat, un sport de corps à corps et de déplacement, un sport de rituels aussi. Pour quelqu'un comme moi qui doit s'adapter en permanence à l'évolution de mon champ de vision, c'est un exercice précieux.

 Sur le tapis, j'apprends à me déplacer droit, j'apprends à gérer la distance avec mon adversaire, j'apprends à coordonner le bas et le haut de mon corps. Dénuée de repères visuels, je me sers beaucoup du bruit que fait mon adversaire quand il se déplace pour me situer. Dans la salle d'armes, je prolonge d'une certaine façon ma rééducation. Et surtout, je me dépense, je bouge, je continue de vivre et d'exister.

 Le plus triste, dans cette histoire, c'est que le plus difficile, ce n'est pas tant de devoir pratiquer l'escrime sans voir. Le plus difficile, c'est de se rendre à la salle d'armes. Peu de maître d'armes étant qualifié pour s'occuper de sportifs non ou malvoyants, je pratique dans un club situé à… 50 km de chez moi. Train, bus… Arriver à l'entrainement est donc déjà une première épreuve en soi.

 

 Propos recueillis par Sébastien Billard